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Avis d'experts

Une autre analyse de jurisprudence RS et DE: le cas Flavor Net inc.

Votre projet de RS et DE réunit-il les conditions prescrites pour effectuer une réclamation?

Voici une deuxième analyse de cas.

En avril dernier, nous avons publié un premier article dans Curieusement Techno, dans lequel nous analysions une cause de RS et DE en Cour canadienne de l’impôt. En voici un deuxième, qui traite d’un cas légèrement différent. Il s’agit de la cause Flavor Net Inc. v. The Queen, rendue tout récemment, en septembre 2017.

Deux projets de RS et DE refusés

Dans cette cause, le contribuable a contesté un refus de deux de ses projets par l’Agence du revenu du Canada (ARC).

Le projet no 1 consistait à développer une boisson énergétique contenant 800 mg de stérols dispersés uniformément dans un volume de seulement deux onces, alors que les produits commerciaux existants ne dépassent pas un huitième de cette concentration. Le défi résidait dans le fait que les stérols sont des substances hydrophobes difficiles à disperser dans une solution aqueuse.

Le projet no 2 avait été décrit dans le formulaire T661 comme le développement d’un procédé de remplissage d’une bouteille à double compartiment. Par contre, lors de l’audience, ce projet a plutôt été présenté comme le développement d’un système de remplissage partiellement à chaud, dans lequel seule la composante active était pasteurisée, puis diluée par la suite dans de l’eau distillée stérile.

Projets de RS et DE non admissibles: causes du refus

Le juge a rejeté l’admissibilité du projet no 1 sur la base des cinq critères couramment utilisés. En particulier, il a conclu à l’absence d’incertitude technologique, car l’entreprise s’est contentée d’utiliser une combinaison de solutions et de moyens bien connus dans l’industrie alimentaire: dispositifs de mélangeage intensif, chaleur, émulsifiants et ingrédients dispersants. Le juge a donc considéré qu’il s’agissait d’un projet réalisé par de l’« ingénierie de routine ».

L’objectif du projet a été poursuivi en utilisant des techniques connues, avec un résultat raisonnablement prévisible. Le développement d’un nouveau produit ne nécessite pas forcément la résolution d’une incertitude technologique. Le fait qu’un produit soit inexistant sur le marché n’est pas suffisant pour démontrer que son développement implique des dépenses de RS&DE.

Le juge a également fait remarquer que le contribuable n’a pas démontré qu’il avait établi en début de projet la base de connaissances technologiques couramment accessibles.

Autrement dit, une évaluation de l’état de la technologie (recherche de brevets existants, survol de documents techniques) doit être effectuée avant d’entreprendre la réalisation d’un projet. Et il est nécessaire d’en conserver des traces.

Le fait qu’un produit soit inexistant sur le marché n’est pas suffisant pour démontrer que son développement implique des dépenses de RS&DE.

Même si ces éléments suffisent en soi à disqualifier le projet no 1, le jugement a identifié d’autres failles, notamment le défaut d’avoir suivi la méthode scientifique. Cette dernière comprend la formulation d’hypothèses et la réalisation d’essais pour les vérifier. Une hypothèse doit être spécifique; il ne doit pas s’agir de la simple reformulation de l’objectif du projet sous une forme interrogative. Les travaux réalisés en procédant par « essais et erreurs » ne sont pas considérés comme respectant la démarche scientifique, dans la mesure où ils peuvent être définis comme une série d’essais effectués sans suivre une logique claire correspondant à un processus itératif.

De plus, le juge a examiné le dernier critère, celui de la documentation, et a conclu que cette dernière était bien étoffée. Il a mentionné en passant que, bien que la documentation ne soit pas essentielle, elle aidait le contribuable à démontrer que ses travaux donnaient droit à des crédits d’impôt sur la base des dépenses de RS&DE.

Quant au projet no 2, le juge a confirmé son rejet sur la base de la confusion et de l’incohérence du dossier. Premièrement, le contenu du projet décrit pendant l’audience, et aussi lors de l’examen par l’ARC, ne correspondait pas à ce qui avait été soumis dans le formulaire T661. Deuxièmement, la documentation ne permettait pas de corroborer l’affirmation selon laquelle les travaux avaient bien eu lieu pendant l’exercice pour lequel ils avaient été réclamés. Cette incohérence et cette absence de corroboration ont compromis l’acceptation du projet.

À retenir

En résumé, les conclusions que l’on peut tirer de cette cause sont les suivantes:

  1. Un projet de RS et DE doit se démarquer de l’ingénierie de routine, même si les travaux sont ardus et complexes. L’ingénierie de routine se définit comme l’utilisation de techniques courantes avec un résultat « raisonnablement prévisible ». Par contre, selon d’autres jugements émis précédemment, si le résultat d’une combinaison non banale d’approches connues est imprévisible aux yeux des experts du domaine, on peut se trouver en présence de RS et DE;
  2. Il faut établir le plus précisément possible la base de connaissances technologiques avant d’entreprendre le projet, et la documenter;
  3. Il faut être en mesure de justifier les essais réalisés dans le cadre du projet de RS&DE en fonction d’hypothèses spécifiques et innovantes. Ce qui distingue l’investigation systématique de l’approche par essais et erreurs, ce sont les raisons qui motivent chaque essai;
  4. Il importe de soumettre des réclamations claires, rigoureuses et convaincantes. Dans certains cas, cela peut être difficile en respectant le maximum de 1 400 mots pour la description technique de chaque projet. De plus, les renseignements soumis doivent être conformes à la documentation disponible.
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