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Avis d'experts

Redevance de développement: une source de revenu municipal peu exploitée

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Bien que certaines municipalités aient élaboré des règlements leur permettant de percevoir des redevances de développement – également appelées « frais de croissance » –, cette disposition légale reste sous-utilisée par la grande majorité des administrations municipales du Québec.

L’objectif de cet article est d’informer les représentants du milieu municipal au sujet de cet intéressant levier financier visant à soutenir les dépenses liées à la croissance des infrastructures sur le territoire d’une municipalité.

De nouveaux pouvoirs habilitants depuis 2016

Rappelons d’abord que les compétences en matière de taxation et de redevances des municipalités ont été élargies au cours des dernières années. À l’heure actuelle, les pouvoirs que les administrations municipales ont la possibilité d’utiliser pour générer des revenus se regroupent en trois grandes catégories :

  1. Pouvoir général de taxation et de redevance : selon la Loi sur les cités et villes aux articles 500.1 à 500.11;
  2. Taxation à taux variés et tarification : selon la Loi sur la fiscalité municipale aux articles 244.38 à 244.64.9 pour la taxation à taux variés et aux articles 244.1 à 244.10 en ce qui a trait à la tarification;
  3. Redevance de développement : selon la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU) aux articles 145.21 à 145.30.

C’est sur ce troisième volet autorisé par Québec que nous nous attarderons brièvement aujourd’hui, tout en examinant quelques exemples de règlements déjà adoptés par des municipalités.

Qu’en est-il exactement de cette nouvelle disposition légale? En fait, depuis 2016, le gouvernement du Québec donne aux conseils municipaux la possibilité d’instaurer une redevance visant à faire contribuer le propriétaire qui demande l’émission d’un permis au financement des travaux que devra faire la municipalité pour répondre à la croissance induite en services municipaux.

Or, selon l’article 145.21 de la LAU, le conseil d’une municipalité peut, par règlement, assujettir la délivrance d’un permis de construction ou de lotissement ou d’un certificat d’autorisation ou d’occupation :

  1. à la conclusion d’une entente entre le requérant et la municipalité portant sur la réalisation de travaux relatifs aux infrastructures et aux équipements municipaux et sur la prise en charge ou le partage des coûts relatifs à ces travaux;
  2. au paiement par le requérant d’une contribution destinée à financer tout ou partie d’une dépense liée à l’ajout, l’agrandissement ou la modification d’infrastructures ou d’équipements municipaux requis pour assurer la prestation accrue de services municipaux découlant de l’intervention visée par la demande de permis ou de certificat.

Les équipements municipaux visés au paragraphe 2° du premier alinéa ne comprennent pas le matériel roulant dont la durée de vie utile prévue est inférieure à sept ans ni les équipements informatiques.

Pour la municipalité, ces redevances constituent donc des contributions de croissance servant à répondre aux besoins en immobilisations induits par la croissance immobilière, tels que ceux relatifs à la réfection ou à la construction de casernes de pompiers, de bibliothèques, d’infrastructures de gestion des rejets à l’égout, etc.

Ces « frais de croissance » peuvent ainsi être perçus relativement à des ajouts, à des agrandissements ou à des modifications qui doivent être effectués sur des infrastructures et des équipements municipaux souvent déjà existants, et qui sont rendus nécessaires par la croissance de la demande de services générée par la demande de permis.

Il est à noter que les infrastructures concernées ne servent pas seulement ou prioritairement au nouveau développement, mais à l’ensemble de la municipalité. De plus, la redevance de développement doit être versée avant même que le permis ou le certificat ne puisse être délivré, étant donné qu’elle est directement exigible en vertu du règlement municipal qui la prévoit.

Règlements municipaux en lien avec les frais de croissance

À ce jour, une dizaine de municipalités ont adopté un règlement en vue d’instaurer une redevance de développement. Voici trois exemples.

Saint-Colomban

En 2020, cette municipalité s’est dotée du Règlement relatif au paiement d’une contribution destinée à financer tout ou partie d’une dépense liée à l’ajout, l’agrandissement ou la modification d’infrastructures ou d’équipements municipaux.

Le règlement a pour objectif de financer l’agrandissement ou la modification d’infrastructures ou d’équipements municipaux requis pour assurer la prestation accrue de services municipaux découlant de l’intervention visée par une demande de permis en assujettissant certains travaux au paiement d’une contribution.

La délivrance d’un permis est assujettie au paiement par le requérant, au moment de la demande de permis, d’une contribution à l’égard des travaux suivants : construction d’une unité de logement, ajout d’une unité de logement et réaménagement d’un bâtiment en lien avec un changement d’usage.

Le montant total des redevances anticipées pour la durée de vie du règlement est estimé à environ 43 M$ pour environ 1 364 unités de logement constructibles sur le territoire. Pour l’année 2020, le montant de la redevance était de 5 994 $ pour chaque unité de logement visée par le règlement.

Carignan

En 2019, la Ville de Carignan a adopté le Règlement établissant le paiement d’une contribution de croissance lors de la délivrance d’un permis de construction neuve ou de lotissement. Ce règlement autorise la constitution de deux fonds, soit « Infrastructures – loisirs, culture et administration » et « Infrastructures – hygiène du milieu ». Ces fonds sont destinés exclusivement à recueillir le paiement de la contribution de croissance exigée du requérant.

Concernant le fonds « Infrastructures – loisirs, culture et administration », le paiement par le requérant varie entre 1 200 $ et 2 400 $ par unité de logement (3 ½ et moins à 5 ½) ainsi que par unité équivalente de commerce et d’industrie.

Quant au paiement par le requérant d’une contribution liée au fonds « Infrastructures – hygiène du milieu », la somme varie entre 1 300 $ et 2 600 $ par unité de logement (3 ½ et moins à 5 ½) et par unité équivalente de commerce et d’industrie.

Trois-Rivières

Pour sa part, la municipalité de Trois-Rivières a instauré le Règlement exigeant de la personne qui requiert la délivrance de certains permis le paiement d’une contribution financière. Il vise à assujettir la délivrance d’un permis de construction ou de lotissement, ou d’un certificat d’autorisation ou d’occupation, au paiement d’une contribution. Le Règlement vient ainsi créer un fonds dont l’actif est destiné exclusivement à :

  1. favoriser et à soutenir la création, l’aménagement, le réaménagement et la mise à niveau d’un parc, d’un espace vert, d’un espace naturel, d’un réseau cyclable ou d’autres zones de conservation;
  2. la mise à niveau ou l’augmentation de la capacité d’accueil des équipements ou infrastructures de gestion des rejets à l’égout.

Les règles d’application sont multiples, mais on y retrouve entre autres la construction d’une habitation unifamiliale, pour laquelle la redevance est comprise entre 375 $ et 875 $ par unité, la construction d’une habitation multifamiliale, pour laquelle le montant de la taxe se situe entre 330 $ et 1 875 $, ou encore le rejet des eaux usées, pour lequel les montants sont variables. Les montants prévus pour ce fonds d’une durée indéterminée s’élèvent à 2 M$.

En somme, ces revenus supplémentaires constituent une diversification des sources de revenus pour les municipalités et viennent soutenir le financement des infrastructures. Dans la majorité des cas, il est facile de mettre en place de telles mesures par voie de règlement et les redevances génèrent des revenus substantiels. Les suivis requièrent peu d’efforts de la part des administrations municipales.

Cependant, un facteur important à prendre en compte lors de l’application d’un tel règlement est que si les redevances sont trop élevées, cela peut ralentir le développement immobilier et, conséquemment, freiner de manière plus générale la croissance des revenus et l’essor de la municipalité.

Le texte suivant a été originalement publié dans la revue Carrefour, édition d’automne 2022, de la Corporation des officiers municipaux agréés du Québec (COMAQ).

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