Bien que la réélection du gouvernement caquiste donne lieu à une certaine continuité dans la manière d’aborder les défis du Québec, plusieurs enjeux demeurent et devront être traités avec ouverture et diligence.
Nonobstant les propositions électorales de la Coalition Avenir Québec et des autres partis politiques au cours de la campagne, quelques experts de Raymond Chabot Grant Thornton partagent ici brièvement leurs vues sur des enjeux qui devront être pris en considération au bénéfice des Québécoises et des Québécois, et du développement du Québec.
Notons que ces quelques éléments ne constituent aucunement une liste exhaustive de dossiers. Ils représentent seulement certains enjeux auxquels des experts de la firme accordent une importance.
Économie et finances publiques
Alors que le premier mandat caquiste aura été fortement marqué par la pandémie, le nouveau gouvernement entrera en fonction dans un temps de grande incertitude économique.
L’inflation galopante des derniers mois, le resserrement des politiques monétaires des banques centrales partout dans le monde, les problèmes persistants touchant les chaînes d’approvisionnement ainsi que l’instabilité géopolitique mondiale engendreront un ralentissement économique à l’échelle planétaire. Le Québec ne pourra pas échapper, au cours des prochains mois, aux impacts de ces phénomènes.
Dans ce contexte, il apparaît essentiel que le nouveau gouvernement retienne une approche prudente dans la gestion des finances de l’État. Des efforts importants ont été faits par l’ensemble des Québécois au cours de la dernière décennie pour redresser l’état de nos finances publiques. L’objectif de maintenir l’équilibre budgétaire devrait ainsi être conservé malgré les soubresauts économiques.
L’utilisation du Fonds des générations pour financer de nouvelles initiatives nous paraît également risquée dans le contexte économique incertain actuel. Le Fonds a effectivement démontré son efficacité comme outil de gestion de la dette publique québécoise et comme vecteur d’équité intergénérationnelle.
Par ailleurs, la lutte contre l’inflation figurera dans les priorités majeures du nouveau gouvernement caquiste au cours des prochains mois. Bien qu’un ralentissement de l’inflation soit anticipé au cours de la prochaine année, les impacts continueront de se faire sentir au sein des ménages et des entreprises québécoises. À cet égard, des mesures ciblées permettant de soutenir les personnes les plus touchées par l’inflation nous paraissent plus souhaitables que des mesures fiscales générales qui risquent indirectement d’attiser encore plus le phénomène de hausse des prix.
Enfin, dans le contexte actuel de vieillissement de la population et de pénurie de main-d’œuvre, le nouveau gouvernement doit poursuivre la mise en place d’initiatives promouvant la productivité du travail et de mesures incitatives au travail. C’est ainsi que le niveau de vie des Québécois sera maintenu à long terme et que nous pourrons nous payer les services publics dont la société a besoin.
Jean-Philippe Brosseau
Vice-président de pratique
Conseil en management
Éducation
Dans son premier discours suivant sa réélection à titre de premier ministre du Québec, François Legault a mentionné que la priorité du gouvernement pour son prochain mandat sera l’éducation. Pour ce faire, le gouvernement devra travailler sur plusieurs fronts simultanément afin d’établir des conditions propices à l’apprentissage ainsi qu’un environnement adéquat pour un enseignement efficace au profit des élèves actuels et futurs.
Un environnement d’apprentissage sain débute par des infrastructures adéquates. Le gouvernement doit poursuivre son engagement d’investir massivement pour rattraper le retard d’entretien et de maintien de ses infrastructures. Dans l’optique d’optimiser leur utilisation, une accélération des ententes de partage de plateaux sportifs et culturels avec les municipalités devra être favorisée au profit des élèves et des communautés.
Les ressources technologiques, telles l’analyse des données avancées et l’intelligence artificielle, ont démontré que nous pouvons agir stratégiquement et rapidement sur la réduction des écarts suivant la pandémie et sur la persévérance scolaire. Il faudra donc démocratiser leur utilisation et piloter les transformations pédagogiques et organisationnelles requises au sein du système scolaire pour permettre à chaque élève d’être pris en charge le plus tôt possible dans son cheminement.
L’encadrement du personnel enseignant et de soutien éducatif devra également être optimisé. Les élèves ayant des parcours spécifiques sont de plus en plus nombreux. Il importe donc d’avoir suffisamment de spécialistes dans les écoles et les classes, tels que des psychoéducateurs, et de s’inspirer des pratiques gagnantes issues de la recherche en éducation.
Après avoir revu la gouvernance des commissions scolaires pour les transformer en centres de service scolaires lors de son premier mandat, le gouvernement doit maintenant travailler à établir une relève de qualité pour contrer la pénurie de gestionnaires et d’enseignants dans le réseau scolaire.
Enfin, l’accessibilité à une éducation de qualité favorisant la réussite éducative doit être un droit pour tous les Québécois. Les récentes études sur la variation des taux de diplomation doivent devenir un enjeu par lequel nous sommes tous concernés.
Pierre Fortin
Associé
Conseil en management
Santé
À la fin de son premier mandat, le gouvernement caquiste a identifié ses grandes priorités, suscitant des espoirs à bien des égards. Néanmoins, qu’en est-il des défis et, surtout, à quoi doit s’attendre la population au cours des prochaines années?
D’abord, tous les Québécois accusent de grandes difficultés à accéder aux services de santé et aux services sociaux. Le rehaussement de l’accès doit constituer le principal objectif, d’où doivent découler toutes les actions entreprises.
Pour y arriver, il faudra nécessairement faire des gains concrets en ce qui concerne la pénurie de main-d’œuvre qui prévaut, véritable frein à l’amélioration. Cela passera notamment par une approche renouvelée de gestion, des conditions de travail répondant aux besoins de l’ensemble des professionnels et travailleurs, et des modalités de rémunération respectant la capacité financière du Québec, tout en permettant une mobilisation des effectifs.
Des gains d’efficience doivent également se concrétiser : simplifier, réinventer et renforcer les parcours patients, notamment afin d’éviter l’urgence et l’hospitalisation, rehausser la pertinence (utiliser les ressources de façon juste et appropriée) et revoir l’organisation des services administratifs et cliniques en faisant une plus grande place aux nouvelles technologies et aux innovations. À cet égard, il faudra aussi poursuivre le virage vers une culture des données pour faciliter la prise de décision au quotidien et faire atterrir la révision du mode de financement et la numérisation du réseau.
Il faudra aussi réviser les champs de compétence de l’ensemble des acteurs pour favoriser la complémentarité, investir plus en santé publique et en prévention, et inverser le financement comme l’ont fait certains pays en investissant davantage en services de première ligne et de soutien à domicile et moins en hospitalisation et en hébergement.
Et bien que la révision du modèle d’hébergement par le biais des maisons des aînés et le conventionnement des CHSLD privés doit être salué, la courbe du vieillissement démographique amène un constat : ce ne sera pas suffisant et il faut se projeter dès maintenant et se donner des orientations claires. Voilà un projet de société qui imposera des discussions corsées, mais qui doit nous rassembler.
Jonathan Perrier
Directeur principal
Conseil en management
Fiscalité
Notre firme l’a soulevé à maintes reprises : notre fiscalité n’est plus adaptée à la réalité actuelle.
La surtaxation et ses lourdeurs administratives contrecarrent la croissance de plusieurs organisations.
Les entrepreneurs québécois subissent la plus importante pression fiscale au pays.
Outre l’importance de donner plus d’air frais sur le plan fiscal à nos entrepreneurs et à nos PME, des incitatifs fiscaux visant entre autres à mieux répondre à la pénurie de main-d’œuvre doivent voir le jour.
Afin d’encourager les travailleurs expérimentés à demeurer plus longtemps sur le marché du travail ou à y retourner, l’actuel crédit d’impôt pour prolongation de carrière n’a malheureusement d’effet que pour les travailleurs à faible revenu et ne s’applique qu’à des sommes négligeables.
Ce crédit d’impôt ne s’applique pas en ce moment aux 5 000 premiers dollars de revenu de salaire ou d’entreprise généré, et il est de 15 %.
Aussi, à partir de revenus annuels de 35 650 $, il commence à diminuer et disparaît pour ceux qui gagnent plus de 65 650 $ annuellement, ou plus de 68 650 $ si le travailleur est âgé de 65 ans ou plus.
Or, si l’on souhaite créer un véritable incitatif, le crédit d’impôt devrait demeurer à un taux de 15 %, sans réduction, peu importe les revenus imposables touchés par le particulier, en plus de venir abolir la franchise de 5 000 $.
À cela, un bouclier fiscal aurait intérêt à être appliqué, si un particulier reçoit les prestations de la pension de la sécurité de la vieillesse ou du supplément de revenu garanti et qu’il fait le choix de travailler après 60 ans.
Ce faisant, les prestations des programmes sociaux versés au particulier seraient compensées par un crédit d’impôt remboursable advenant une réduction ou une perte de ces programmes sociaux, jusqu’à une augmentation de salaire admissible annuelle de 20 000 $, par exemple.
Sylvain Gilbert
Associé
Fiscalité
Développement économique
Continuer de rattraper l’écart de richesse avec l’Ontario restera la principale priorité du gouvernement caquiste. Ce faisant, l’accroissement de la productivité des entreprises et la création de postes à haute valeur ajoutée resteront parmi les cibles gouvernementales.
Cependant, le gouvernement devra s’attarder à la question de rareté de main-d’œuvre, sous peine de voir des entreprises perdre leur compétitivité par rapport aux concurrents étrangers ou de les voir tout simplement déménager leurs facteurs de production ailleurs.
Pour les entreprises et commerces locaux, cet enjeu entraînera probablement un certain nombre d’entre eux à diminuer leurs heures d’ouverture ou à fermer leurs portes, ce qui sera dommageable pour la vitalité de nombreuses régions.
En parallèle à la question d’attraction de main-d’œuvre et de régionalisation, l’ensemble des considérations permettant l’accueil et l’intégration des travailleurs dans leur milieu de vie devront être priorisés. Ainsi, les questions de disponibilité et d’accessibilité au logement, de disponibilité de places en garderie ou encore de mécanismes d’accueil efficaces pour les nouveaux arrivants devront être à l’ordre du jour des différents ministères, et ce, dès la première année de mandat.
Du côté de la transformation numérique, il est de notoriété publique que nos entreprises accusent un retard de développement important. Pour pallier cet enjeu, une continuité et une prévisibilité des fonds de soutien, de même qu’une simplification des programmes d’accompagnement existants, seront nécessaires tout au long de la chaîne de valeur.
Finalement, le gouvernement – tous ministères confondus – devra reconnaître l’urgence d’entreprendre des actions visant à réduire l’impact des changements climatiques, sous peine de laisser un legs qui marquera durablement les générations futures.
Ainsi, des investissements massifs dans le développement des transports collectifs et actifs ou dans l’amélioration de la résilience des infrastructures, ou encore dans le soutien à la décarbonation de l’économie devront se concrétiser à court terme afin qu’ils entraînent des effets positifs à long terme.
Immigration
D’abord, le gouvernement aurait intérêt à imbriquer l’immigration temporaire à l’immigration permanente, tant au niveau de ses politiques que de ses seuils d’immigration.
Chez AURAY, les travailleurs étrangers temporaires recrutés pour les PME du Québec sont à 90 % des francophones. La raison est simple : les entreprises québécoises veulent en faire des résidents permanents le plus rapidement possible. C’est pourquoi nous croyons que le gouvernement devrait ajuster, en plus des divers programmes menant à la résidence permanente, ses cibles en fonction de la vague de travailleurs étrangers qui sont établis au Québec depuis plus de deux ans et qui entament le processus pour l’obtention de la résidence permanente.
Par ailleurs, les entreprises considèrent comme injustes les délais de traitement au Québec, tant en ce qui a trait à la résidence temporaire qu’à la résidence permanente, comparativement aux délais des autres provinces, beaucoup plus courts. AURAY a soulevé à quelques reprises ces délais au ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration du Québec en suggérant d’instaurer la même procédure que dans les autres provinces concernant les demandes d’évaluation d’impact sur le marché du travail (EIMT).
Il s’agirait de ne plus exiger que les contrats de travail soient conclus avant la soumission de la demande d’EIMT. Cette exigence québécoise vient ralentir le processus de quelques mois pour nos entreprises qui ont besoin rapidement de main-d’œuvre. Quant à la résidence permanente pour ces travailleurs étrangers, l’écart des délais de traitement des dossiers au Québec par rapport à ceux des autres provinces est de six à dix-huit mois. Cela vient encore affaiblir l’attractivité de nos entreprises pour les travailleurs étrangers.
Enfin, en raison des perspectives économiques qui confirment un certain ralentissement, le gouvernement devrait se pencher rapidement sur la réouverture de son Programme des immigrants entrepreneurs, permettant la création ou l’acquisition d’entreprises au Québec, ainsi que de son Programme des immigrants investisseurs, permettant d’allouer des fonds à Investissement Québec. Ce dernier programme permet de soutenir la croissance de nos entreprises, sans coût de la part des contribuables québécois.
Marc Audet
Président et chef de la direction
Groupe AURAY
Filiale en immigration de Raymond Chabot Grant Thornton
Cybersécurité et gouvernance de données
Dans un contexte où les cybermenaces infligent des dommages considérables à l’économie et à de très nombreuses entreprises, l’arrivée de la Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels (loi 25) visant une meilleure gestion des renseignements personnels de la part des organisations est un excellent pas en avant.
Cependant, les entreprises sont démunies face à la complexité de la tâche à accomplir, ainsi qu’aux coûts inhérents à la fois pour implanter une solution complète de cybersécurité et pour se conformer aux dispositions de la loi 25, dont celle de mettre en place un programme de gouvernance des données complet d’ici septembre 2023. D’ailleurs, les conséquences qui découlent d’une non-conformité associée à cette nouvelle loi ne sont pas négligeables et présentent un défi de taille pour les dirigeants.
Afin de permettre aux entreprises de prendre le virage de la protection des données avec succès et compte tenu des initiatives en cybersécurité et en gouvernance des données nécessaires, un appui du gouvernement serait approprié. Ce soutien financier pour les dirigeants, plus particulièrement les dirigeants de PME, pourrait être sous forme de crédit d’impôt ou d’aide directe (subvention) afin de leur permettre de faire appel à des experts externes certifiés par l’État pour les accompagner dans ces importantes transformations.
Rappelons d’ailleurs que cette loi s’applique à l’ensemble des organisations. Les plus grandes entreprises disposent de ressources pour faciliter la mise en conformité de leur gouvernance de l’information et pour améliorer leur posture en cybersécurité, alors que les petites entreprises doivent avoir recours davantage à des ressources externes spécialisées et souvent coûteuses.
À noter qu’il n’existe actuellement aucun programme gouvernemental pour financer l’implantation d’outils de cybersécurité et de gouvernance de données, deux enjeux intimement liés. Il existe toutefois certains programmes limités aux organisations qui souhaitent se conformer à des certifications rigoureuses dans le cadre de la commercialisation de produits applicatifs, comme c’est le cas avec ISO 27001 ou SOC 2.
Il ne fait aucun doute que de chercher l’amélioration globale de la protection des données et de la posture en cybersécurité des entreprises d’ici les rendra plus résilientes et performantes, ce qui, en retour, contribuera à solidifier encore plus l’économie du Québec.
Guillaume Caron
Président
VARS – Cybersécurité
Division de Raymond Chabot Grant Thornton