Inscrire son entreprise en Bourse est un bon moyen de l’aider à croître. Toutefois, ça exige d’être bien préparé et de compter sur une équipe de spécialistes solide, tant à l’interne qu’à l’externe.
C’est le message aux entrepreneurs qu’a lancé Paul Raymond, président et chef de la direction d’Alithya, lors d’un rendez-vous tête-à-tête avec Emilio B. Imbriglio, président et chef de la direction de Raymond Chabot Grant Thornton.
Alithya, une entreprise québécoise spécialisée en stratégies et technologies numériques, est entrée à la Bourse de Toronto et au NASDAQ en novembre 2018. Sous la gouverne de Paul Raymond, elle a réalisé 11 acquisitions depuis 10 ans, la dernière étant celle de R3D Conseil (600 professionnels) en avril 2021. Alithya emploie maintenant plus de 3 300 personnes, 16 fois plus qu’en 2011.
Une entrée en bourse accélérée
Ce sont des objectifs de croissance liés aux exigences de ses clients qui ont amené Alithya à lancer un premier appel public à l’épargne, a expliqué Paul Raymond.
Ses clients lui demandaient d’atteindre rapidement une certaine masse critique afin de pouvoir lui confier des projets stratégiques. Alithya a donc multiplié les acquisitions et a commencé à planifier une entrée en bourse, dans le but notamment de faciliter le partage de la richesse créée entre ses actionnaires.
Alors que l’organisation se préparait tranquillement à une éventuelle entrée en bourse, l’achat en 2018 de l’entreprise américaine Edgewater Technology, inscrite en Bourse, a précipité les choses. « La seule façon dont nous pouvions réaliser la transaction, c’était de devenir une société publique à travers l’acquisition de cette entreprise », a mentionné Paul Raymond.
« Dans mon esprit, nous avions deux ans pour préparer notre entrée en Bourse, mais avec cette transaction, nous avons dû prendre les bouchées doubles pour réaliser à la fois l’acquisition et entrer en bourse en seulement six mois », a-t-il ajouté.
Quand Alithya a entrepris les négociations avec Edgewater, « nous avions déjà un comité composé de membres de la direction et d’experts externes, nous avions des investisseurs externes et nous avions commencé à mettre des mécanismes de gouvernance en place, mais nous étions loin de la gouvernance d’une société publique ».
Ainsi, afin de réussir la transaction et son entrée en bourse, Alithya a recruté un chef de la direction financière et une cheffe des affaires juridiques qui avaient l’expérience d’une société publique.
Conseils aux PDG
Préparer une entrée en bourse est un processus exigeant, pour lequel il est important de se faire accompagner par des spécialistes externes, pour tous les aspects financiers, légaux, de stratégie d’entreprise et de management, ont rappelé Paul Raymond et Emilio B. Imbriglio.
Avant d’inscrire sa société en bourse, « il faut avoir une très bonne lisibilité des deux prochaines années de l’entreprise », conseille le président d’Alithya.
Le PDG doit bien s’entourer afin de pouvoir déléguer certaines tâches à des gestionnaires de confiance, car les relations avec les investisseurs et les analystes peuvent accaparer beaucoup de son temps.
Ces gens veulent que ce soit le PDG lui-même qui leur explique la stratégie de l’entreprise, a souligné Paul Raymond, qui conseille aux entrepreneurs dont la société s’inscrira en bourse de suivre une formation en communications publiques.
« Je crois beaucoup à l’importance d’avoir un bon plan lorsqu’on entre en Bourse, mais il faut aussi être prêt à écouter et à changer, ce qui n’est pas toujours facile pour un PDG », a dit Paul Raymond, récipiendaire du « Prix PDG émérite » d’Investissement Québec en 2020.
« J’ai vu des entrepreneurs qui se sont transformés complètement lors du processus d’entrée en Bourse, mais j’en ai vu d’autres qui n’avaient pas prévu devoir s’occuper de cette nouvelle catégorie de partenaires (les investisseurs), et qui pensaient pouvoir continuer d’assumer exactement les mêmes fonctions qu’avant », a indiqué Emilio B. Imbriglio.
Paul Raymond recommande aussi aux entrepreneurs de s’informer auprès de leurs pairs et des nombreuses ressources d’appui au milieu des affaires. « Au Québec, les dirigeants d’entreprises publiques sont très généreux de leur temps et de leurs conseils. Et il y a tout un écosystème pour aider les entrepreneurs qui envisagent une entrée en bourse. »
Avantages d’être en bourse
Selon Paul Raymond, les exigences auxquelles sont soumises les entreprises publiques imposent un cadre de gestion rigoureux et une reddition de comptes transparente qui leur sont bénéfiques. « J’aime beaucoup la discipline et la qualité de gouvernance que le fait d’être une entreprise publique nous apporte, parce qu’on ne doit pas répondre seulement à un actionnaire, mais à plusieurs actionnaires. »
Autre avantage d’être en bourse : lorsque le principal dirigeant part à la retraite, nul besoin de chercher un repreneur pour l’entreprise. « Il y a un transfert de pouvoir naturel qui se fait, et l’entreprise peut continuer de grandir », a dit Paul Raymond.
Être en bourse a toutefois ses inconvénients. Par exemple, la transparence requise fait en sorte que les concurrents peuvent consulter les données financières de l’entreprise et connaître sa stratégie. « Nous découvrons encore des inconvénients », a-t-il reconnu, en soulignant le niveau de complexité lié au fait pour une entreprise québécoise d’être inscrite à la Bourse américaine.
Cela dit, Emilio B. Imbriglio a rappelé que le financement public est un bon moyen de croître. « Plusieurs entreprises québécoises qui sont devenues aujourd’hui des leaders nationaux et internationaux ont pu concrétiser leur rêve grâce au financement public. Néanmoins, le Québec compte seulement 7 % des entreprises canadiennes inscrites aux deux principales bourses d’actions du Groupe TMX. Ça demeure trop peu, alors que le poids économique du Québec (PIB) compte pour environ 20 % de l’économie canadienne », a-t-il indiqué.
Emilio B. Imbriglio et Paul Raymond souhaitent donc que le gouvernement examine la possibilité de créer un nouveau régime inspiré de l’ancien régime d’épargne-actions (RÉA). Cela permettrait à de nombreuses entreprises de bénéficier de nouveaux capitaux, selon eux.
L’humain avant tout
Pour Paul Raymond, il est essentiel que l’entreprise place l’humain au cœur de son évolution technologique et de ses décisions stratégiques, qu’il s’agisse de ses employés, de ses clients ou de ses actionnaires.
« J’ai toujours cru que l’humain a une capacité d’adaptation incroyable. On l’a bien vu depuis un an et demi. Quand les employés comprennent pourquoi on fait des changements, c’est beaucoup plus simple d’introduire ces changements et de former les gens. »
Selon lui, la montée du télétravail engendrée par la pandémie est un phénomène qui perdurera et qui est bénéfique sur plusieurs plans, que l’on pense à la hausse de productivité des employés ou à la réduction de l’empreinte environnementale, par exemple.
Le déploiement d’Internet haute vitesse dans toute la province est d’ailleurs un important projet créateur de richesse, a-t-il dit. « Nous sommes assis sur une mine d’or au Québec, avec l’énergie verte, l’arrivée d’Internet haute vitesse dans tous les foyers, et le plus gros marché de la planète à moins d’une heure d’auto de Montréal. »