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Avis d'experts

Décision Cameco et vérifications de l’ARC en matière de prix de transfert

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La décision Cameco porte un coup dur aux vérifications agressives de l’Agence de Revenu du Canada en matière de prix de transfert

Dans une décision rendue à la Cour canadienne de l’impôt dans la cause de Cameco Corporation c. La Reine, le juge John R. Owen a rejeté les arguments invoqués par le Ministère du Revenu National et a ainsi porté un coup dur aux efforts déployés par l’Agence de Revenu du Canada (« ARC »), qui tentait d’appliquer le principe de pleine concurrence en se basant sur la nouvelle version 2017 des Principes de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) applicables en matière de prix de transfert, découlant du projet d’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) visant à limiter les activités d’érosion de la base fiscale et le transfert de bénéfices des multinationales.

La cause portait sur les prix de transfert utilisés par Cameco Corporation (« Cameco Canada ») dans le cadre de ses activités minières lors des années fiscales 2003, 2005 et 2006. Plus spécifiquement, l’ARC questionnait la vente d’uranium par Cameco Canada à Cameco Europe S.A. (« CESA »), une filiale luxembourgeoise ayant une succursale en Suisse, succursale qui a été transférée plus tard à une filiale suisse, Cameco Europe AG (SA, Ltd) (« CEL ») (ci-après collectivement nommées (« CESA/CEL »).

Au total, les ajustements de prix de transfert proposés par l’ARC auraient augmenté les revenus de Cameco Canada d’un montant de 484,4M$. Ces mêmes ajustements, appliqués sur les années d’impositions subséquentes, auraient potentiellement ajouté 8 milliards de dollars aux revenus de Cameco Canada.

Au cours des procédures, le Ministère s’appuyait, en premier lieu, sur l’argument du subterfuge (le terme anglais sham est utilisé dans la décision), en deuxième lieu sur les règles de requalification des prix de transfert (paragraphes 247(2)(b) et (d) de la Loi de l’impôt sur le revenu), et enfin sur les règles traditionnelles en matière de prix de transfert (paragraphes 247(2)(a) et (c)). Il s’agissait du premier cas de prix de transfert dans lequel le ministre s’appuyait sur les règles de requalification.

En rejetant la position de l’ARC, le juge Owen en arrive aux conclusions ci-dessous.

  1. Le contribuable n’a pas utilisé de subterfuge. Pour argumenter qu’un subterfuge a été utilisé dans le cadre d’une transaction, il faut que les parties concernées présentent la transaction d’une manière différente de ce qu’elles en comprennent. Le juge a conclu que les agissements des différentes sociétés du groupe correspondaient à leurs compréhensions des ententes commerciales et des transactions et que leurs agissements étaient cohérents avec cette compréhension. Le fait que CESA/CEL ait été expressément autorisée à effectuer les transactions par les autorités de réglementation nucléaire suisses et européennes a certainement également contribué à soutenir la position du contribuable selon laquelle les transactions n’étaient pas un subterfuge.
  2. Il n’y a rien d’exceptionnel, d’inhabituel ou d’inapproprié à au fait d’incorporer CESA/CEL, et que Cameco Canada demande à ses sociétés étrangères affiliées d’effectuer certaines transactions sous le principe de pleine concurrence. Dans l’éventualité où ces transactions soulèvent des questions de prix de transfert, les règles traditionnelles en cette matière devraient y répondre. Le recours aux règles canadiennes de requalification n’était ni justifié, ni approprié dans les circonstances.
  3. L’utilisation de la méthode de prix comparable sur le marché libre (« PCML ») constitue la mesure la plus fiable pour établir des prix de pleine concurrence pour l’uranium. Les prix appliqués par Cameco Canada au cours des années d’imposition en question ne justifiaient pas un ajustement selon les règles traditionnelles de prix de transfert canadiennes, puisqu’ils se situaient dans l’intervalle de pleine concurrence tel que déterminé par la méthode PCML.

Que signifie cette décision pour les contribuables?

La décision rendue par le juge Owen est la plus importante liée aux règles de prix de transfert du Canada depuis la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire La Reine c. GlaxoSmithKline.

En rendant sa décision, le juge Owen réaffirme les points ci-dessous.

  1. Les règles canadiennes en matière de prix de transfert priment sur les Principes de l’OCDE. Par conséquent, à moins d’un changement à la Loi de l’impôt sur le revenu, la version 2017 des Principes de l’OCDE, qui inclut les recommandations du projet BEPS, continuera d’être considérée comme une orientation et non comme la loi.
  2. L’arrêt Duke of Westminster est toujours d’actualité! Une planification fiscale ne constitue pas en soi un motif suffisant pour procéder à un ajustement de prix de transfert.
  3. II est important de développer des politiques de prix de transfert en lien avec la réalité commerciale du groupe, d’avoir des ententes commerciales intercos qui reflètent les termes et conditions des opérations contrôlées, et de comptabiliser les transactions de la même façon que si elles étaient effectuées entre parties non liées.
  4. Dans l’établissement des prix de transfert, c’est l’intervalle de pleine concurrence qui est important, un non un point précis dans l’intervalle.
  5. Tel que stipulé dans la Circulaire d’information 87-2R, la cour canadienne de l’impôt privilégie la méthode du PCML aux méthodes basées sur le profit, telles que la méthode transactionnelle de la marge nette.
  6. II est important de documenter les circonstances ayant conduit à des opérations entre parties liées divergeant de la politique de prix de transfert en vigueur.
  7. Les circonstances commerciales et économiques pertinentes, telles que les questions de réglementation, doivent être dûment prises en compte lors de l’établissement des prix de transfert

En ce qui concerne les positions administratives en matière de prix de transfert prises par l’ARC, la décision du juge Owen:

  1. Établit que le test permettant de déterminer si les règles canadiennes de requalification s’appliquent est fondé sur la réalité commerciale de la transaction ou de la série de transactions;
  2. Établit que les règles traditionnelles en matière de prix de transfert ne doivent pas être utilisées afin de remanier les ententes réellement conclues entre les participants à une transaction ou à une série de transactions, mais bien pour évaluer les transactions ou la série de transactions en se référant un intervalle de pleine concurrence;
  3. Rejette l’usage par l’ARC et ses experts d’informations obtenues a posteriori dans la formulation de leurs conclusions;
  4. Rejette l’argument voulant que, puisque Cameco Canada effectue l’ensemble des fonctions, elle doive obtenir l’ensemble les bénéfices. Les services fournis par Cameco Canada à CESA/CEL en vertu de l’entente de services ne peuvent pas être considérés comme des fonctions effectuées par Cameco Canada pour son propre compte. L’analyse de prix de transfert de ces services doit servir à déterminer le prix de pleine concurrence des services. Le fait que Cameco Canada rende des services de support aux activités de CESA/CEL ne justifie pas un transfert de la prime de risque inhérente aux fonctions d’achat et de vente d’uranium effectuées par CESA/CEL;
  5. Rejette la notion selon laquelle le fait qu’une des parties liées réalise des pertes constitue une preuve suffisante pour arriver à la conclusion que les prix de transfert ne respectent pas le principe de pleine concurrence.

Les précédents découlant de cette affaire portent un dur coup aux positions agressives adoptées par l’ARC au cours des dernières années dans ses vérifications de prix de transfert, et rendront maintenant plus difficile l’implantation des nouvelles directives de l’OCDE sur l’application du principe de pleine concurrence, qui visent à rémunérer sur la base des fonctions générant de la valeur dans la transaction ou la série de transactions concernée. Par conséquent, on peut s’attendre à ce que l’ARC porte en appel cette décision devant la Cour d’appel fédérale et, peut-être, devant la Cour suprême du Canada. Des mesures spécifiques visant les planifications fiscales qui ont été à l’origine du projet BEPS de l’OCDE sont également à prévoir dans le prochain budget fédéral.

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